Réflexion d’une assistante de recherche dans le cadre du projet doctoral d’Émilie Cormier

February 16, 2023

Par Marianne Bordeleau, Doctoral Research Assistant

Lisez-le en anglais.

Réflexion d’une assistante de recherche dans le cadre du projet doctoral d’Émilie Cormier « Une exploration phénoménologique-existentielle de l’expérience des soins palliatifs de fin de vie des personnes âgées qui ont vécu en situation d’itinérance. »

    Dans le cadre de mon emploi comme assistante de recherche, j’ai eu à écouter et transcrire quatre entrevues menées auprès de deux femmes résidant en centre de soins. Elles racontent recevoir des soins semblant s’ancrer dans une approche palliative, mais racontent également recevoir des soins qu’elles décrivent comme s’apparentant parfois à des soins curatifs. Par ailleurs, elles ont toutes les deux demandé l’aide médicale à mourir. Pourtant, leur participation à la recherche est basée sur le fait qu’elles reconnaissaient recevoir des soins palliatifs dans le cadre d’une trajectoire de fin de vie. Pourquoi la notion de soins palliatifs semble-t-elle si confuse ?

La limite diffuse entre soins curatifs et palliatifs

    Selon Rossi (2010), les soins palliatifs cherchent à

    assurer la dignité de la personne mourante en œuvrant pour qu’elle puisse mourir avec et dans la dignité, [à] lutter contre la douleur et la souffrance engendrées dans bien des cas par les situations de fin de vie, [à] refuser »l’acharnement thérapeutique« [et à] repenser les limites et la pertinence de la médecine curative. [...] Les soins palliatifs [...] visent à [...] améliorer la qualité de vie des personnes gravement malades et soutenir leurs proches. (p. 37-38)

    Ainsi, les soins palliatifs s’inscrivent en réaction, entre autres, à l’acharnement thérapeutique, en permettant d’assurer aux personnes atteintes de maladie incurable la dignité qu’elles méritent (Rossi, 2010). En d'autres mots, les soins palliatifs honorent l’agentivité de la personne malade (Rossi, 2010). Lorsque le pronostic vital s’assombrit, les soins palliatifs ont pour but d’accompagner la personne malade jusqu’à la mort, ainsi, dans le contexte de la fin de vie, l’issue de ces soins est connue de ceux qui acceptent de les recevoir. Comment est-il décidé, donc, qu’il est maintenant temps de bénéficier de soins palliatifs ? Il peut être délicat de passer du « diagnostic [au] pronostic » (Rossi, 2010, p. 39). Selon Rossi (2010), la ligne entre les soins curatifs et palliatifs n’est pas tout à fait franche. Ainsi, cette prise de décision nécessite une communication étroite entre la patiente et tous les acteurs professionnels impliqués dans les soins qu’elle reçoit (Rossi, 2010) et dépend de « dynamiques qui ne relèvent pas d’un raisonnement mais d’une action individuelle et collective » (Rossi, 2010, p. 42). Ainsi, les soins adéquats — ceux qui conviennent à la personne en fin de vie mais aussi aux agents du milieu dans lequel elle s’inscrit — ne dépendent pas d’une analyse distanciée des personnes concernées ou de leur expérience. Selon Rossi (2010), ce qui est adéquat s'articule en lien avec les circonstances et les contextes de vie particuliers qui sont eux-mêmes ancrés dans une situation collective : ce qui est adéquat serait aussi variable. La décision de recevoir soins curatifs ou palliatifs le serait donc aussi. Si cela peut sembler utopique dans un paradigme médical, Rossi (2010) stipule que « dans l’accompagnement, les connaissances scientifiques sont subordonnées aux intentions et aux actions humaines » (p. 42). Ainsi, le chemin vers la prise de décision n’est pas tracé d’avance. Ici, soignants et soignés doivent nécessairement se concerter pour déterminer ce qui doit être fait ou non. Mais les choses ne se passent pas toujours ainsi. Dans les deux entrevues qui m'ont été données à transcrire, les vécus relatés en ce qui a trait aux soins palliatifs reçus semblaient totalement différents. D’un côté, les décisions étaient bel et bien le fruit d’une approche communautaire. De l’autre, les connaissances scientifiques et les normes institutionnelles avaient vraisemblablement prévalence sur les intentions « humaines ». Qu’est-ce qui divergeait dans les expériences des deux femmes ?

    La première participante vit dans un lieu qui lui était déjà familier et dans lequel elle rapporte pouvoir discuter, partager et prendre des décisions en collaboration avec ceux qui lui offrent des soins. La deuxième participante vit dans une institution qu’elle intègre pour la première fois de sa vie et où elle relate ne pas toujours comprendre l’intention derrière les actions posées par les soignantes. Nonobstant le milieu de soin lui-même, la principale distinction semblait relative à la posture adoptée par les personnes soignantes : une posture d’ouverture, d’échange et de collaboration versus une posture de subordination.

Le renversement soignant/soigné

    Qu’est-ce qui émerge lorsqu’on échange et collabore avec les personnes soignées ? Lorsque questionnées sur leur expérience vécue des soins palliatifs reçus, les réponses des participantes comportaient une large partie dédiée à leur récit de vie. Il a ainsi été relevé qu’elles ont deux particularités en commun : celle d’avoir vécu une partie de leur vie en situation d’itinérance — ce qui leur donne l’expérience d’avoir vécu en marge des institutions — et celle d’avoir occupé elles-mêmes le rôle de soignante dans le cadre d’un emploi passé. Ainsi se retrouvent-elles maintenant dans le rôle de bénéficiaires de soins tout en devant s'adapter à la philosophie d’une institution qui n’est peut-être plus la même que celle dans laquelle elles ont elles-mêmes eu l’expérience de soigner. Ce renversement soignant/soigné peut être particulièrement difficile à intégrer en fonction de la posture incarnée par la personne soignante. Autrement dit, la personne soignante n’a peut-être aucune idée de la réalité de la personne devant laquelle elle se trouve, d’où toute la pertinence de la culture palliative qui nous amène à réfléchir le soin comme un idéal de concertation et de respect, dans lequel nous considérons l’expertise de chacun. Châtel (2010) nous amène à réfléchir le soin comme un don qui nécessiterait un « contre-don » (2010, p. 87), ici conçu comme l’aspect réciproque et communautaire des soins palliatifs. Sans réciprocité, donc, sans communication, les soins prodigués ont le potentiel de devenir blessants (Châtel, 2010). Ainsi, Rossi (2010) et Châtel (2010) nous rappellent que les soins palliatifs sont d’abord et avant tout une culture de la réciprocité dans laquelle la personne qui reçoit les soins n’est pas réduite au rôle de « receveur de soin », mais a plutôt un rôle crucial à jouer dans les décisions qui détermineront sa fin de vie.

    Il m'apparaît primordial que les personnes soignantes s’intéressent à la situation actuelle de la personne en fin de vie en lien avec sa situation passée et plus encore, à la manière dont la personne en fin de vie perçoit les soins prodigués à la lumière de sa propre histoire de vie. La pertinence d’une telle approche me semble encore plus saillante dans le contexte où la réalité de vie de la personne soignée est très éloignée de la réalité de la personne soignante. Ma réflexion m’amène à supposer que la fin de vie n’a de sens sans la vie qui la précède, et que c’est la plupart du temps cette dite vie qui en déterminera le cours et les penchants. Ainsi, en s’inscrivant de manière cohérente avec le vécu de la personne qui les demande, les soins palliatifs en viendraient peut-être à ne plus référer à une notion confuse qui s’oppose au curatif, mais plutôt à une approche malléable et flexible qui place la personne malade au cœur de sa propre vie jusqu’à la toute fin.

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Références

Châtel, T. (2010). Éthique du « prendre soin » : sollicitude, care, accompagnement. Dans

Emmanuel Hirsch (éd.), Traité de bioéthique: I - Fondements, principes, repères

(p. 84-94). Érès.

 

Rossi, I. (2010). Culture palliative : pour anticiper et accueillir la mort. Revue internationale de

soins palliatifs, 25(1), 37-43.