Lettre 2001
Scientists for Species
Très honorable Jean Chrétien Premier
Ministre du Canada Chambre des communes
Ottawa ON K1A 0H6, Canada
Monsieur le Premier Ministre,
Le Canada fait face à un problème grandissant et négligé, celui des espèces en voie de disparition. Déjà 352 espèces animales et végétales sont considérées « en péril ». De plus, des douzaines d'autres espèces s'ajoutent à la liste à chaque année. Sans une protection efficace, bon nombre de ces espèces pourraient disparaître, et ce, dans un avenir très rapproché. De telles disparitions pourraient avoir des conséquences importantes sur plusieurs processus écologiques fondamentaux qui assurent la survie de notre espèce. La conservation de la diversité biologique, à l'échelle mondiale,est l'un des principaux défis de ce nouveau millénaire.
Nous sommes heureux de constater que le gouvernement du Canada, après deux échecs, a enfin déposé un projet de loi sur les espèces en voie de disparition (LEP). Pour répondre aux engagements pris dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique, le Canada doit combler des lacunes dans ses lois environnementales. Le LEP, avec des pouvoirs importants, permettrait la conservation des espèces et l'acquittement des engagements pris dans le cadre de la convention.
Bien que le projet de loi déposé comporte certains aspects positifs, il est loin d'offrir la protection requise pour la sauvegarde des espèces sauvages en voie de disparition. Des parties critiques du projet de loi, comme la section concernant la préservation des habitats, sont inappropriées et elles sont loin d'égaler les mesures adoptées par les États-Unis et le Mexique. Afin que le LEP soit efficace plusieurs lacunes doivent êtres comblés avant son adoption.
PROTECTION OBLIGATOIRE DE L'HABITAT
Les scientifiques du monde entier sont d'avis que, pour préserver les espèces, nous devons aussi préserver leurs habitats, c'est-à-dire les lieux dont elles dépendent, pour entre autres, se nourrir, se reproduire et élever leurs petits. La préservation des espèces sans leurs habitats est pratiquement impossible. Une espèce sans habitat est une espèce sans avenir.
Malheureusement, le projet de loi déposé n'exige pas la protection de l'habitat. Il accorde une protection au nid ou tanière, mais pas au reste de l'habitat. -Par comparaison, ce serait comme la protection de la chambre à coucher sans celle du reste de la maison et du voisinage. Le LEP stipule que l'habitat essentiel d'une espèce « peut être » protégé (et non pas « sera » protégé). Cette disposition est très décevante. Pour que la loi ait un quelconque effet sur la conservation des espèces en voie de disparition, il est essentiel que la protection de l'habitat soit une obligation, et non pas un choix politique.
En plus, le projet de loi proposé ne considère pas la protection des habitats situés sur les terres domaniales ou dans les régions relevant d'une gestion fédérale. Cette lacune constitue un important recul par rapport au projet de loi précédent (1997). Il est particulièrement important que le gouvernement fédéral soit le chef de file en matière de protection de s espèces migratrices ou ayant un domaine vital qui s'étend de part et d'autre des frontières canadiennes. De telles espèces requièrent une protection transfrontalière que seul le gouvernement fédéral peut assurer. Les lois des États-Unis et du Mexique concernant les espèces en voie de disparition assurent la protection des habitats des espèces transfrontalières. L'absence d'une protection similaire au Canada pourrait compromettre la survie ou le rétablissement de ces espèces.
La législation doit également être soutenue avec les efforts de conservation déployés sur le terrain. Les récentes annonces d'octroi de fonds, faites par le ministre Anderson, constituent une initiative généreuse. Toutefois, ces mesures volontaires doivent êtres soutenues par une loi qui garantit que les espèces en voie de disparition et leurs habitats seront protégés dans tous les cas, ce que ne fait pas le LEP actuel.
UNE LISTE DES ESPÈCES EN PÉRIL BASÉE SUR DES DONNÉES SCIENTIFIQUES
Déterminer si une espèce est en voie de disparition est un exercice éminemment scientifique et non pas politique. Afin que la loi soit crédible, la liste des espèces en péril doit être établi par un processus indépendant et scientifique. Malheureusement, le projet de loi délaisse la science au profit de la politique . Quatre changements fondamentaux sont nécessaires pour rectifier cette situation.
Tout d'abord, la liste actuelle des espèces en péril, établie par des scientifiques, devrait être considérée comme liste initiale dans la nouvelle loi. Cette liste a été développée et mise à jour sur une période de 22 ans par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC). Cet organisme respecté est composée de spécialistes de la faune, fédéraux, provinciaux et indépendants. Une reconsidération récente de cette liste (utilisant les critères UICN) confirme sa véracité. L'approche utilisée par le LEP, n'incluant aucune liste d'espèce est illogique surtout si une liste crédible est disponible.
En second lieu, il faudrait garantir la compétence et l'indépendance du COSEPAC. Cette recommandation pourrait être accompli par (i) l'exigence que des organismes scientifiques respectés, comme la Société royale du Canada, devraient être consulté avant toute nomination au sein du COSEPAC, et (ii) l'exigence que la moitié de ses membres devraient provenir de milieux non gouvernementaux. Ces modifications permettraient de s'assurer que le COSEPAC reste un organisme scientifique, libre d'interférence politique.
En troisième lieu, les scientifiques du COSEPAC et non les politiciens devraient décider des espèces à considérer en voie de disparition. Actuellement, le LEP permet au Cabinet de choisir dans la liste proposée par le COSEPAC. Avec une telle formule on court le risque que plusieurs espèces en périls soit perdu au profit de la politique. Il est tout à fait normal que les politiciens prennent des décisions concernant la protection des espèces en voie de disparition; par contre, il incombe aux scientifiques de prendre les décisions en matière d'évaluation des espèces et de l'établissement de la liste. À tout le moins, les décisions du COSEPAC concernant la liste des espèces en voie de disparition devraient être applicable dans un délai donné (par exemple, 60 jours) à moins que le Cabinet n'impose un « veto », en fournissant des explications.
Finalement, la définition originale "d'espèce sauvage" figurant dans le projet de loi de 1997 doit être remise en place. Une "espèce" doit (entre autres) être considérée comme une "geographically or genetically distinct population." Le projet de loi actuelle utilise le terme "biologically distinct population," qui est beaucoup trop vague et qui ne se conforme pas avec l'approche du COSEPAC.
* * *
Nous félicitons le gouvernement d'avoir déposé un projet de loi afin d'assurer la protection des espèces en péril. Un tel projet de loi s'impose. Cependant, dans sa forme actuelle, le projet de loi présente des lacunes importantes qu'il convient de corriger si l'on veut que la loi protège efficacement les espèces. Nous vous prions:
(i) d'assurer la préservation des habitats des espèces en péril dans la juridiction fédérale, y compris dans le cas des espèces transfrontalières; (ii) d'adopter la liste actuelle du COSEPAC comme le liste initiale dans la loi; (iii) d'assurer l'indépendance et la compétence du COSEPAC; (iv) de respecter les futures décisions prises par le COSEPAC concernant la liste; (v) de revenir à la définition originale "d'espèce sauvage."
Sans ces changements fondamentaux, de nombreuses autres espèces sauvages du Canada sont vouées à la disparition.
La diversité des espèces sauvages au Canada est plus qu'une source de fierté nationale; la biodiversité est essentielle au bien-être écologique et économique du pays. Si les améliorations susmentionnées sont apportées, cette loi contribuera de façon importante à la préservation de la santé écologique du Canada, et de l'Amérique du Nord, pour de nombreuses générations à venir.
Nous vous prions d'agréer l'assurance de nos sentiments les plus distingués.