L’achèvement de la voie ferrée Canadian Pacific en 1886 a engendré le début de la vague d’immigration chinoise vers les Prairies et l’est du Canada. De petits villages le long de la voie ferrée se sont développés en petites villes et cités; Calgary fut l’une d’entre elles.
Dans les années 1870, Fort Calgary était un petit village comptant moins de cent âmes. Il fut officiellement intégré en tant que ville de Calgary sous l’Ordonnance des Territoires du Nord-Ouest le 7 novembre 1884 et a commencé à s’étendre après l’arrivée de la voie ferrée Canadian Pacific. Vers 1885, quelques blanchisseurs chinois arrivèrent à Calgary. En juin 1888, le Calgary Herald, un journal local, relata que Hop Sing arriva de Vancouver et ouvrit une blanchisserie, lavant les vêtements à moindre coût. Par conséquent, il força les quatre autres blanchisseries chinoises à devenir compétitives. Au bout du compte, ces quatre blanchisseries se sont unies, ont réduit leurs prix simultanément et ont évincé Hop Sing qui décida par la suite de quitter Calgary.
En 1888, quelques blanchisseurs chinois firent commerce sur l’avenue Stephen (aujourd’hui la 9e avenue sud-est) ainsi que sur l’avenue Atlantique située dans la partie est de la gare (FIG.1). L’existence d’un Quartier chinois embryonique n’a pas attiré l’attention de la société occidentale jusqu’à ce qu’une épidémie de variole surgisse en 1892. En avril, sept personnes de Vancouver et Victoria sont mortes de la variole. En juin, un Chinois revenant de Vancouver vers Calgary contracta la maladie. Les autorités civiles ont immédiatement brûlé la blanchisserie où il vivait et tout ce qu’elle contenait et mis en quarantaine tous ses occupants dans une cabane à l’extérieur de la ville. Les Chinois ont été nommés responsables des trois morts résultant de l’épidémie. Lorsque quatre malades chinois ont été relâchés de la zone de quarantaine, le 2 août 1892, une foule de plus de 300 hommes brisèrent les portes et vitres de blanchisseries chinoises, essayant de chasser les Chinois hors de la ville. Pendant trois semaines, la police montée du nord-ouest a dû protéger le Quartier chinois et ses résidents d’éventuelles nouvelles attaques par la population blanche de la ville. En 1901, par exemple, il n’y avait que 63 Chinois à Calgary, soit 1.5% de sa population. Cette même année, le Quartier chinois comptait deux restaurants, deux supermarchés, une blanchisserie et une résidence comptant 22 lits. Le restaurant Kwong Man Yuen était de très loin, la plus grande entreprise.
Aux alentours de 1900, quelques jeunes homes chinois participaient aux classes du dimanche à l’église presbytérienne Knox, dans le but d’apprendre l’anglais. Dr. J.C Herdman, Pasteur de l’église, essaya en vain, d’obtenir un local dans le Quartier chinois pour sa mission évangélique. Il n’y parvint pas car les gens ne supportaient pas l’idée d’introduire le christianisme à des «Chinois païens non assimilés» et refusèrent de lui louer un local. Après que Thomas Underwood, un baptiste dévoué et entrepreneur majeur, a entendu parler de cette situation, il construisit un bâtiment de deux chambres au 215 avenue Smith (aujourd’hui la 10e avenue sud-ouest) en novembre 1901 et le loua au Dr. Herdman à un prix réduit afin qu’il puisse y installer sa mission chinoise. L’année suivante, un deuxième étage fut ajouté pouvant loger 35 élèves. Par conséquent, un deuxième Quartier chinois commença à émerger autour de la mission.
Vers 1910, Calgary comptait deux petits Quartiers chinois séparés par la voie ferrée. Le premier Quartier chinois sur les 8e et 9e avenues sud-est comprenait huit restaurants, un supermarché, un tailleur et quelques blanchisseries. Le deuxième Quartier chinois, situé sur la 10e avenue sud-ouest, comptait la mission chinoise, trois restaurants, six blanchisseries, trois supermarchés, un tailleur et une rangée d’habitations chinoises. Dans les deux Quartiers chinois, les Chinois vivaient par quartier, derrière leurs commerces ou logements.
Le chemin de fer nord canadien annonça en 1910 son trajet envisagé à l’intérieur de Calgary et considéra la construction d’un hôtel dépôt près de la station de la voie ferrée Canadian Pacific. Peu de temps après cette annonce, la valeur immobilière des propriétés des deux Quartiers chinois grimpa; les propriétaires ont immédiatement expulsé leurs locataires chinois et ont vendu leurs propriétés. Ceci amena les Chinois à réaliser que s’ils étaient propriétaires de leurs biens, ils auraient un impact sur le Quartier chinois. En septembre 1910, quelques riches marchands chinois achetèrent un lot immobilier à l’intersection de la 2e avenue sud et de la rue Centre est, où ils panifièrent d’établir un nouveau Quartier chinois. Même si le site était considéré comme un «dépotoir pour familles à bas salaire», les résidents locaux n’approuvèrent toujours pas l’installation d’un Quartier chinois dans leur quartier. En octobre 1910, ils rencontrèrent les membres du Conseil municipal et leur demandèrent d’isoler les Chinois dans une partie de la ville comme si on établissait des parcs d’isolement. Le 13 octobre, une conférence sur «la question chinoise» eu lieu à la mairie. Les représentants chinois étaient Lucy Kheong, Présidente de l’association sur la réforme de l’empire chinois et Ho Lem, représentant les intérêts des blanchisseurs. A la fin de cette conférence, il fut conclu que peu importe où le Quartier chinois était situé, les résidents de cet espace y seraient opposés. Ainsi, à tous égards, la localisation du troisième Quartier chinois fut confirmée lors de cette conférence, à l’intersection de la 2e avenue sud et de la rue Centre est. A la fin des années 1910, tous les résidents et commerces chinois du premier et deuxième Quartier chinois s’installèrent dans le troisième.
En 1921, la population chinoise de Calgary atteignit 688 âmes (649 hommes et 39 femmes). La plupart vivaient dans le Quartier chinois. Quelques associations telles que Gee How Gong Shaw, Lun See Ho, l’association Mah, Shuo Yuen Tong et la Ligue nationale chinoise s’établirent entre la 2e avenue et la rue Centre. Après que le gouvernement canadien a introduit l’acte d’exclusion des Chinois en 1923, la population chinoise commença à diminuer. Par exemple, la population chinoise de Calgary est passée de 1045 âmes en 1931 à 800 en 1941.
Dans les années 50, le Quartier chinois de Calgary s’étendait sur dix pâtés de maisons au sud de la rivière Bow. En 1966, la construction d’une promenade entre la 2e et 3e avenue sud fut proposée dans le projet majeur de la ville, ce qui aurait causé la destruction de la moitié du Quartier chinois. De ce fait, un groupe de citoyens chinois préoccupés formèrent la société Sien Lok et mobilisèrent la communauté chinoise à s’opposer au projet. Après que la proposition fut archivée, la communauté chinoise s’organisa sous le nom de l’Association des Chinois Unis de Calgary (ACUC) en août 1969, regroupant 24 associations chinoises telles que la société Sien Lok, Chee Kung Tong et l’association Mah. L’ACUC avait pour but de protéger le Quartier chinois ainsi que de promouvoir des activités sociales et culturelles chinoises.
En 1974, le Conseil municipal délimita un espace de 20 hectares pour le Quartier chinois sous le nom de Programme d’amélioration du quartier. Le groupe de travail du développement du Quartier chinois, formé en 1973, prépara un dossier de conception du Quartier chinois de Calgary recommandant que le Quartier soit conservé et développé comme une communauté résidentielle à la fois pour les Chinois et les non-Chinois. Ce dossier fut approuvé par le Conseil municipal en 1976, marquant le début de la réhabilitation du Quartier chinois de Calgary.
Aux alentours de 1980, les rues du Quartier chinois furent nettoyées et beaucoup de vieilles habitations furent détruites afin de faire place à des projets de redéveloppement. La Fondation pour le développement de Calgary (FDC), créée par George Ho Lem, était une organisation regroupant 170 professionnels et non-professionnels. Grâce au soutien financier de la Compagnie canadienne du logement et de l’hypothèque, la FDC construisit en 1976 la place Oi Kwan, une maison de repos. D’autres gratte-ciel, tels que le manoir Bowside, Bow Central Plaza (aujourd’hui connue sous le nom de Five Harvest Plaza) et la tour centrale Ng furent construits. Alors que ces projets de développement progressaient, des conflits entre l’ACUC et la FDC apparurent. En 1982, la FDC réclamait un développement intense et de grande envergure du Quartier chinois à des fins résidentielles et commerciales mais l’ACUC souhaitait que le Quartier demeure une zone de faible densité telle qu’originellement recommandée dans le dossier de conception de 1976 et préconisa de petits immeubles ainsi que plus d’immeubles résidentiels de taille moyenne. Le conflit escalada en 1982 lorsque quelques propriétaires et hommes d’affaires du Quartier chinois créèrent une autre organisation connue sous le nom de l’Association des Contribuables du Quartier chinois de Calgary (ACQC) et demandèrent un développement du quartier à forte densité. Finalement, le Conseil municipal embaucha un consultant externe en tant que responsable du projet de conception du Quartier chinois. Il généra le Programme de Redéveloppement de la zone du Quartier chinois en 1984. Le programme recommanda des projets de moyenne et forte densité dans le centre du Quartier chinois et des projets de forte densité à des fins commerciales dans son périmètre. Le programme proposa également la construction d’un Centre culturel chinois à l’ouest de l’intersection entre la 2e rue et la 2e avenue sud-ouest (avenue Daqing). Dans les années 1980, les maisons de repos telles que le manoir Wai Kwan, l’hôtel particulier Wah Ying et le parc du Quartier chinois, également connu sous le nom de parc Sien Lok, furent construits. Plusieurs vieux immeubles abritant des associations furent démolis et remplacés par de nouveaux bâtiments. Les rues furent embellies et on y installa des réverbères chinois. Dans les années 1990, on acheva les travaux du Centre culturel chinois et du Centre pour personnes âgées du Quartier chinois de Calgary.
Grâce à l’ajout de nouveaux services et équipements, le Quartier chinois de Calgary chercha à attirer de nouveaux visiteurs. Le Centre culturel organise le Nouvel an chinois depuis sa création en 1992. Ces évènements attirent vingt mille visiteurs chaque année et beaucoup de représentants gouvernementaux de haut niveau, tels que le Premier ministre et le Maire, y participent. Le festival du Quartier chinois de Calgary, organisé par l’Association des marchands chinois de Calgary se tient en août tous les ans depuis 2001 et attire plus de soixante-dix mille participants qui viennent y découvrir les arts et métiers artisanaux, les boutiques et jouer au hockey dans la rue. Le Quartier chinois de Calgary célébra son centième anniversaire en 2010 et la ville déclara officiellement le 13 octobre (date à laquelle le Conseil municipal approuva la construction et la possession d’un immeuble par les Chinois de Calgary), jour du Quartier chinois.
Le Quartier chinois fait toujours face au défi d’une population chinoise dispersée qui peut souvent satisfaire ses besoins culturels proche de chez elle. Cependant, une tradition forte et un marché en expansion avec la Chine rendent le Quartier chinois plus fort. En 2012, la fondation Oi Kwan termina la construction d’un immeuble de seize étages, ajoutant plus de logements pour les personnes âgées du Quartier chinois. A cette même période, la popularité et diversité des restaurants du Quartier chinois augmenta. Beaucoup d’entre eux servent les hommes d’affaires qui travaillent avec la Chine hors des bureaux situés dans le Quartier et la demande d’organisation de grands évènements liés aux week-ends de célébration est de plus en plus forte. La pression pour plus de services amena l’expansion du Quartier chinois nord de la rue Centre vers la 16e avenue qui appartenait déjà, en 1999, aux Sino-canadiens à hauteur de 60%. Les commerces du Quartier chinois ont souffert à la suite des inondations de 2013 et on dû faire face à de nombreux défis dans leurs efforts de rétablissement. Après leur réhabilitation, les Quartiers chinois de Victoria et Vancouver ont gardé leurs bâtiments associatifs construits avant la Première Guerre mondiale ainsi que des caractéristiques architecturales datant du début du XXe siècle. C’est pour cette raison qu’ils ont pu être classés dans la catégorie des «Quartiers chinois réhabilités». Au centre-ville de Calgary, au contraire, de nouveaux gratte-ciel furent construits à l’intérieur et autour du Quartier chinois. Cette réhabilitation amena la disparition de presque tous les bâtiments d’avant-guerre et il ne reste aujourd’hui que quelques traces de l‘architecture urbaine du Quartier chinois d’avant-guerre Par conséquent, le Quartier chinois de Calgary correspond plutôt à un «Quartier chinois remplacé » qu’à un «Quartier chinois réhabilité».